Guillemette
Pour les lecteurs de mon blog ce conte de Noël publié sur un autre site.
Quelques maisons s’agrippent aux rochers de la vallée plantée de châtaigniers. Aux sources qui dévalent les drailles et à l’or des genêts qui a explosé au printemps a succédé le mauve des bruyères ; puis la nature toute entière a semblé prendre feu avant que n’arrivent les premiers frimas.
Ce soir un vent glacial souffle avec force sur le petit village. Ici, sur les toits de lauze, la neige poudroie et s’envole à chaque rafale ; là elle s’accumule en congères sur les murs de pierre. Des cheminées de chaque maison sortent des volutes épaisses.
Guillemette s’est assise près de la Mamette ; elle aime beaucoup sa grand-mère dont les cheveux blancs sortent de sa cagnotte dentelée. C’est elle qui la défend lorsqu’elle fait les bêtises que l’on fait à son âge. Guillemette n’a que douze ans. Petite, toute fluette, son visage est piqué de taches de rousseur. Un tout petit nez à la retrousse lui donne un air malicieux.
Après avoir mangé une soupe de légumes, du lard et un peu du fromage de leurs chèvres, la famille s’active tandis que le grand-frère de Guillemette est allé chercher dans la clède des bitches de châtaignes.. Le grand-père s’assied dans le seul fauteuil de la pièce ; les deux mains appuyées sur sa canne, il tremble de tous ses membres. Ce sont là les deux membres de la gente masculine de la maison. Il faut vous dire qu’en cette veillée de Noël 1917, les hommes sont tous au front.
Trois femmes aussi sont présentes dans cette grande salle. La mère de Guillemette qui porte un devantier noué dans le dos, et qui s’affaire près du feu ; sa tante quant à elle dessert la table et s’active près de la pile à faire vaisselle tandis que la femme de son parrain l’essuie.
Et puis toute la famille se retrouve, les mains occupées à ôter la seconde peau des fruits. Et l’on parle des souffrances que subissent nos soldats dans la boue des tranchées, du gaz moutarde, de la fin de cette guerre, de leur absence qui se fait de plus en plus sentir dans l’économie familiale, le grand-père étant trop âgé et le frère trop jeune. Pendant ce temps là le premier panier vient de se terminer.
Ils attaquent la seconde corbeille d’osier, quand la maman sort de sa poche de devant la dernière carte postale reçue la veille. Papa demande, aux enfants d’être sages et de bien aider à la maison, leur dit que la guerre ne peut plus durer encore longtemps et qu’il sera bientôt rentré. Il y a quelques lignes pour son épouse qu’elle garde pour elle seule mais ses joues s’empourprent.
La femme de son parrain, elle aussi sort une carte postale. Il est dans les cuirassiers ; d’ailleurs un daguerréotype le représente le buste enfermé dans sa cuirasse et tenant son casque à crinière à la main. Et là, c’est Guillemette qui rougit lorsqu’elle entend : Ce Noël, Guillemette, aura une surprise de son parrain.
De quoi pouvait-il bien s’agir ? Dans son sabot, elle était heureuse d’avoir deux mandarines. Il faut dire que la famille n’était pas bien riche et ce n’était pas les châtaignes ou les quelques fromages de chèvres vendus au marché qui pouvaient faire vivre cette cellule familiale. Et puis ces deux fruits représentaient pour elle deux soleils ; qu’aurait-elle pu espérer de mieux ?
Bien sûr son parrain aimait la gâter, d’autant que lui et sa femme ne pouvaient pas avoir d’enfants. Il la prenait souvent avec lui pour les parties de pêche ou parcourir la montagne à la chasse. Il lui apprenait la nature, les arbres, les oiseaux, les champignons. Ce n’était avec lui que plaisirs renouvelés. Toute question de l’enfant trouvait une réponse.
Aussi, cette phrase écrite sur la carte postale l’intriguait beaucoup. Elle avait bien essayé de sonder sa tante mais le secret était bien tenu.
A la fin de la veillée, tout le monde se retrouve pour la prière du soir qui se dit en commun. Guillemette trouve que ce soir les litanies sont bien longues et se demande si maman n’aurait pas rajouté quelques saints à la liste déjà longue.
Elle accompagne sa grand-mère dans l’alcôve qui lui était réservée et monte se coucher, en prenant soin de déposer ses sabots près de l’âtre. Elle ôte sa cagnotte blanche et range soigneusement ses habits sur la chaise en paille. Elle ne garde sur elle qu’une longue chemise. C’est le moment complice avec son frère qui vient jouer avec elle. « Replie tes jambes « lui dit-il. Elle s’exécute. Alors, il attrape le bas de sa chemise et la charge sur son dos. Puis il la promène dans la chambre en disant « Piel de lèbre, piel de lapin » Et Guillemette éclate de rire si fort que sa maman est obligée d’intervenir pour les faire taire.
Elle mit du temps à s’endormir ; sans doute l’impatience. La surprise était peut être le retour prochain de son parrain ! Et si papa pouvait aussi revenir bientôt ? Voilà qui serait un joli Noël. Ils sont partis tous deux depuis si longtemps. Et puis elle a vu tant de femmes du village se vêtir de noir.
Sa nuit se peuple de rêves les plus fous ; de ces rêves de jeunes filles qui ne sont comprises que d’elles seules et qu’il me serait inutile de vous conter. La fatigue l’emporte au petit jour.
Et au réveil, elle descend dans la grande salle. Elle va vers ses sabots. Du coin de l’œil, les femmes l’observent. Elle découvre alors les deux mandarines qui lui étaient promises. Guillemette fait la moue et entend les rires que cela provoque.
« Regarde mieux au fond du sabot ? » entend-elle. Sa main s’aventure mieux et découvre un morceau de papier de soie blanche et dans ce papier quelque chose de dur. De dur et de plat. Ses sourcils se froncent. Se moquerait –on donc d’elle. Comment quelque chose de si petit pourrait lui faire plaisir. Elle déplie lentement le papier et découvre émerveillée une pièce toute jaune qu’elle n’a jamais vue. On lui donnait parfois un sou troué pour qu’elle s’achète des bonbons mais là une pièce plus belle encore que les deux soleils.
« C’est un Napoléon, Guillemette ! Ton parrain te l’offre. Mais il m’a demandé de te dire que cette pièce lui a porté bonheur jusqu’à maintenant. Aussi faudra-t-il toujours le garder avec toi et ne jamais t’en séparer. »
Guillemette qui a aujourd’hui quatre-vingt-dix ans possède toujours cette pièce et raconte à ses arrières-petits enfants son histoire.
Ce soir un vent glacial souffle avec force sur le petit village. Ici, sur les toits de lauze, la neige poudroie et s’envole à chaque rafale ; là elle s’accumule en congères sur les murs de pierre. Des cheminées de chaque maison sortent des volutes épaisses.
Guillemette s’est assise près de la Mamette ; elle aime beaucoup sa grand-mère dont les cheveux blancs sortent de sa cagnotte dentelée. C’est elle qui la défend lorsqu’elle fait les bêtises que l’on fait à son âge. Guillemette n’a que douze ans. Petite, toute fluette, son visage est piqué de taches de rousseur. Un tout petit nez à la retrousse lui donne un air malicieux.
Après avoir mangé une soupe de légumes, du lard et un peu du fromage de leurs chèvres, la famille s’active tandis que le grand-frère de Guillemette est allé chercher dans la clède des bitches de châtaignes.. Le grand-père s’assied dans le seul fauteuil de la pièce ; les deux mains appuyées sur sa canne, il tremble de tous ses membres. Ce sont là les deux membres de la gente masculine de la maison. Il faut vous dire qu’en cette veillée de Noël 1917, les hommes sont tous au front.
Trois femmes aussi sont présentes dans cette grande salle. La mère de Guillemette qui porte un devantier noué dans le dos, et qui s’affaire près du feu ; sa tante quant à elle dessert la table et s’active près de la pile à faire vaisselle tandis que la femme de son parrain l’essuie.
Et puis toute la famille se retrouve, les mains occupées à ôter la seconde peau des fruits. Et l’on parle des souffrances que subissent nos soldats dans la boue des tranchées, du gaz moutarde, de la fin de cette guerre, de leur absence qui se fait de plus en plus sentir dans l’économie familiale, le grand-père étant trop âgé et le frère trop jeune. Pendant ce temps là le premier panier vient de se terminer.
Ils attaquent la seconde corbeille d’osier, quand la maman sort de sa poche de devant la dernière carte postale reçue la veille. Papa demande, aux enfants d’être sages et de bien aider à la maison, leur dit que la guerre ne peut plus durer encore longtemps et qu’il sera bientôt rentré. Il y a quelques lignes pour son épouse qu’elle garde pour elle seule mais ses joues s’empourprent.
La femme de son parrain, elle aussi sort une carte postale. Il est dans les cuirassiers ; d’ailleurs un daguerréotype le représente le buste enfermé dans sa cuirasse et tenant son casque à crinière à la main. Et là, c’est Guillemette qui rougit lorsqu’elle entend : Ce Noël, Guillemette, aura une surprise de son parrain.
De quoi pouvait-il bien s’agir ? Dans son sabot, elle était heureuse d’avoir deux mandarines. Il faut dire que la famille n’était pas bien riche et ce n’était pas les châtaignes ou les quelques fromages de chèvres vendus au marché qui pouvaient faire vivre cette cellule familiale. Et puis ces deux fruits représentaient pour elle deux soleils ; qu’aurait-elle pu espérer de mieux ?
Bien sûr son parrain aimait la gâter, d’autant que lui et sa femme ne pouvaient pas avoir d’enfants. Il la prenait souvent avec lui pour les parties de pêche ou parcourir la montagne à la chasse. Il lui apprenait la nature, les arbres, les oiseaux, les champignons. Ce n’était avec lui que plaisirs renouvelés. Toute question de l’enfant trouvait une réponse.
Aussi, cette phrase écrite sur la carte postale l’intriguait beaucoup. Elle avait bien essayé de sonder sa tante mais le secret était bien tenu.
A la fin de la veillée, tout le monde se retrouve pour la prière du soir qui se dit en commun. Guillemette trouve que ce soir les litanies sont bien longues et se demande si maman n’aurait pas rajouté quelques saints à la liste déjà longue.
Elle accompagne sa grand-mère dans l’alcôve qui lui était réservée et monte se coucher, en prenant soin de déposer ses sabots près de l’âtre. Elle ôte sa cagnotte blanche et range soigneusement ses habits sur la chaise en paille. Elle ne garde sur elle qu’une longue chemise. C’est le moment complice avec son frère qui vient jouer avec elle. « Replie tes jambes « lui dit-il. Elle s’exécute. Alors, il attrape le bas de sa chemise et la charge sur son dos. Puis il la promène dans la chambre en disant « Piel de lèbre, piel de lapin » Et Guillemette éclate de rire si fort que sa maman est obligée d’intervenir pour les faire taire.
Elle mit du temps à s’endormir ; sans doute l’impatience. La surprise était peut être le retour prochain de son parrain ! Et si papa pouvait aussi revenir bientôt ? Voilà qui serait un joli Noël. Ils sont partis tous deux depuis si longtemps. Et puis elle a vu tant de femmes du village se vêtir de noir.
Sa nuit se peuple de rêves les plus fous ; de ces rêves de jeunes filles qui ne sont comprises que d’elles seules et qu’il me serait inutile de vous conter. La fatigue l’emporte au petit jour.
Et au réveil, elle descend dans la grande salle. Elle va vers ses sabots. Du coin de l’œil, les femmes l’observent. Elle découvre alors les deux mandarines qui lui étaient promises. Guillemette fait la moue et entend les rires que cela provoque.
« Regarde mieux au fond du sabot ? » entend-elle. Sa main s’aventure mieux et découvre un morceau de papier de soie blanche et dans ce papier quelque chose de dur. De dur et de plat. Ses sourcils se froncent. Se moquerait –on donc d’elle. Comment quelque chose de si petit pourrait lui faire plaisir. Elle déplie lentement le papier et découvre émerveillée une pièce toute jaune qu’elle n’a jamais vue. On lui donnait parfois un sou troué pour qu’elle s’achète des bonbons mais là une pièce plus belle encore que les deux soleils.
« C’est un Napoléon, Guillemette ! Ton parrain te l’offre. Mais il m’a demandé de te dire que cette pièce lui a porté bonheur jusqu’à maintenant. Aussi faudra-t-il toujours le garder avec toi et ne jamais t’en séparer. »
Guillemette qui a aujourd’hui quatre-vingt-dix ans possède toujours cette pièce et raconte à ses arrières-petits enfants son histoire.
Petite histoire pour vous faire un peu rêver. Il ya beaucoup de l'histoire de ma famille dans cette histoire. Lecteur, comme je disais récemment, je vais bien moral et santé... je me donne beaucoup d'activités pour me dire que j'existe encore un peu, d'où mon retrait des blogs ces derniers mois; mais j'ai toujours l'envie d'écrire, plein de projets dans la tête et la plume qui me démange encore un peu. A bientôt donc peut être!
3 commentaires:
j'avais loupé ! le joli conte qui fleure la montagne, le temps, la veillée... merci
oui, nous loupons tous car le truc machin bidule de rss /atom ne marche pas pour le blog de Muse, va comprendre Charles (et les autres)
j'en profite pour ta souhaite une belle année Muse (et une meilleure santé si possible)
Bonjour, Muse.
Ce conte est exquis. J'y retrouve aussi cette façon d'écrire qui séduit le lecteur par la richesse des phrases.
J'espère que ta maman va le mieux possible et que toi, tu retrouves le sourire.
Que cette année 2011 te soit clémente, Muse.
Je te remercie et je t'embrasse.
Enregistrer un commentaire