Libération mars 1945 (3)
1er mars 1945
"Personne n’est venu nous appeler pour aller au travail. Nous avons fait la grasse matinée. A midi, nous avons mangé le peu de victuailles que nous avions. Dans la cour de la ferme, un char de réfugiés prussiens. Avec eux un prisonnier français qui nous raconte ses pérégrinations sur les routes. C’est lui le postillon et le valet. Il n’a pas pu se résigner à quitter ses patrons. Dans l’après-midi, deux d’entre nous vont se promener avec des Ukrainiens du côté de Nemitz, essayant de voir les Russes. Quelques heures après, ils reviennent et nous racontent leur promenade. A la sortie d’un bois, ils sont vus par une patrouille soviétique qui immédiatement décoche des rafales de mitraillettes. Aussitôt, ils lèvent les bras et s’approchent de la patrouille qui les amène au village occupé par des blindés. Les Ukrainiens discutent avec les soldats. Les Russes amènent tout le monde dans une maison où on les fait manger, boire, fumer. Nos deux camarades annoncent qu’à Martinshagen, il y a d’autres français, et demandent à venir nous chercher afin que nous passions dans leurs lignes. Les Russes les laissent revenir et aussitôt on fait nos paquets et nous nous dirigeons en groupe vers Nemitz.
2 mars 1945.
Ce n’est que le lendemain du 1er mars que nous quittons Martinshagen pour rejoindre les lignes russes, sentant que la population du village nous laissent entièrement libres ; les gens sont amorphes, inquiets sur leur sort, ne sachant que faire, rester ou partir. En route vers Nemitz, cet après-midi du 2 mars, nous croisons dans le village même, des civils dont le maire. Ils n’ont plus leur superbe et nous regardent passer de leurs yeux ternes et absents. Nous sommes gais, avec un léger sourire en pensant à notre avenir. Nous sommes là, 25 Français et quelques Ukrainiens, dont l’un âgé de 25 à 30 ans est accompagné de son épouse ukrainienne, elle aussi. L’un de nous arbore sur son sac un drapeau français. Nous avançons péniblement sous le poids de nos sacs, caisses ou valises, trimballant nos maigres richesses en victuailles et vêtements. Le jour tombe rapidement et il fait à peine clair quand nous débouchons, au sortir d’un bois, sur la grand’route qui conduit de Nemitz à Zanow et Roesling, villes importantes du kreis. Nous sommes accueillis par des rafales de mitraillettes qui nous mettent dans la réalité de la guerre. Heureusement qu’on ne tire pas sur nous, mais dans la nature, probablement pour nos mettre en garde et nous tenir en respect. Quelques uns d’entre nous lèvent les bras et nous voyons surgir trois soldats russes, mitraillette au poing, revêtus de leurs vestes fourrés et coiffés de leur bonnet à poils où brille, rouge, l’étoile soviétique.
Nous approchons du village, les Ukrainiens parlementent pour nous avec d’autres Russes, parmi lesquels il doit y avoir un chef. Je remarque chez eux une certaine sympathie. Nous traversons tout Nemitz, sans rencontrer un seul indigène, pour nous diriger vers l’arrière du front, précédés des Ukrainiens qui nous servent d’interprètes. La nuit tombant, nos fardeaux nous pèsent. Les épaules commencent à être meurtries, la route est longue. Dans un pré voisin, 3 chars ronronnent, camouflés derrière un petit bois. La nuit enveloppe maintenant de son sombre manteau toute la nature. A peine distingue-t-on la route. Nous arrivons à la lisière du bois, abritant les mastodontes ronflants. Quelques coups de fusil nous montrent que nous ne sommes pas seuls.
Notre petit groupe est arrêté. Les soldats qui viennent d’interrompre notre marche et nos pensées sur nos premiers instants de libération, hurlent, et nous nous demandons anxieusement ce qu’ils vont faire de nous. Ils commencent par emmener dans les bois l’Ukrainienne, devant son mari éberlué. Les soldats, sans doute en sentinelle, continuent leurs vociférations et d’autres coups de fusil et mitraillette retentissent. Ils tirent par terre, secouent les premiers de notre groupe et nous nous demandons avec stupeur s’ils ne vont pas nous mitrailler. Enfin, ils nous laissent continuer. Je vois encore, malgré la maigre clarté de la nuit, leurs mines patibulaires et leur air insatisfait de n’avoir pas fait de nous des cadavres.
Nous traversons le bois sans encombre et nous approchons d’un village où nous songeons à nous reposer. Dans les ténèbres nous nous dirigeons vers une grange. Tant bien que mal nous nous installons dans la paille. La nuit est fraîche et je mets longtemps à me réchauffer."
J'ai eu besoin ce week-end de ne pas ouvrir mon ordi et de me reposer. Un gros rhume, le boulot de conductrice, quelques cours particuliers, le sport font des semaines chargées, trop chargées...J'ai donc pris un mopment de repos. J'ai quatre ou cinq poésies en train sur mon bureau et la copie de ce document que je veux finir avant.
A bientôt sur vos blogs et bon début de semaine...
10 commentaires:
Repose toi bien Muse... Laisse nous un moment , le temps de reprendre des forces et de finir ce qui traine sur ton bureau ..
Ton récit est bouleversant de vérité et surtout de réalité ... on est loin , bien loin de la " 7ème compagnie" ......
A bientôt alors , en forme et guérit !
bisouxxxxx
je me demandais si tu étais sur les routes - contente que tu te sois reposée.
C'est fascinant ce monde de la guerre, avec le fait que ça ne se passe pas sur des cartes avec de belles situations tranchées, mais sur un vrai terrain qu'elle défigure, et avec toutes ces populations impliquées ou non qui font ce qu'elles peuvent.
c'est tout simplement bouleversant !! je suis cloué !! un beau témoignage chère Muse !!
En plus d'être poète tu es une grande conteuse... Je te souhaite bon courage pour cette nouvelle semaine, prends soin de toi et les passages sur mon blog ne sont pas obligatoires.... Je me permets de te faire un bisou amical Muse !
Repose toi Muse, les blogs peuvent attendre, pas la vie...
Encore un texte bien émouvant, tu as le don de nous transporter avec tes mots.
prends soin de toi.
Bonne soirée.
Je précise qu'il ne s'agit pas d'un texte de ma composition; celui ci a été écrit par mon papa en mars 1945, sans aucune correction. Mon papa avait le don de l'écriture, possédait un brevet supérieur et enseignait avant la guerre, à St Nicolas d'Igny.
Je ne fais que le transcrire tel que je le vois sur les quatre feuillets qui le composent.
Tu as eu raison de te reposer, ce week-end, Muse. Il faut faire des pauses, parfois.
Merci encore pour ce récit émouvant, encore plus lorsqu'on sait qu'il vient de ton papa.
Bonne soirée à toi. Je t'embrasse.
Au cœur des combats ce récit a un côté dramatique sachant ton père impliqué. Bonne semaine Muse.
Prends ton temps, Muse, ton récit nous passionne. Repose toi, le dimanche est fait pour ça! Je t'embrasse. Arlette.
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